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15 avril 2007

La droite s'assume enfin

Présidentielle : travail, identité nationale, réduction des impôts…
par Fabrice Madouas

Il fallait être linguiste pour y penser. Jean Véronis et Louis-Jean Calvet, professeurs à l’université de Provence, ont passé au crible les principaux discours des candidats à la présidentielle. Leurs travaux, publiés au Seuil (Combat pour l’Élysée : paroles de prétendants), remettent bien des choses en place.
Quel est le mot préféré de Ségolène Royal, celui qu’elle emploie le plus ? « Salariés ». En revanche, on ne trouve guère de traces, dans ses déclarations, de la nation dont elle prétend porter l’étendard. Nicolas Sarkozy consacre l’essentiel de ses discours au « travail » : c’est le mot qu’il utilise le plus souvent. Celui de François Bayrou ? « Pays », et celui de Jean-Marie Le Pen : « peuple », suivi par « nation » et « liberté ». Des thèmes révélateurs de la droitisation de la campagne, tout comme ce mot commun aux quatre candidats, « valeurs », qu’ils emploient avec la même fréquence : c’est le maître mot de cette élection présidentielle.
Est-ce surprenant ? Les jeunes générations exercent sur Mai 68 un sévère droit d’inventaire. 83 % des 15-25 ans tiennent le travail pour une valeur positive, selon un sondage CSA paru dans Capital en août 2006. Ils plébiscitent aussi le patriotisme (64 %) et l’autorité (60 %), que leurs aînés vouaient aux gémonies. Rien n’est joué, mais cette campagne le prouve : beaucoup de Français ne croient plus aux “lendemains qui chantent”, ni ne veulent faire du passé table rase. Ce que confirment les sondages : pour l’instant, la gauche, tous candidats confondus, recueille, au premier tour, moins de 40 % des intentions de vote.
Valeurs actuelles le relevait déjà l’an dernier : « Après quarante ans d’un débat cadré par les slogans de Mai 68 – “jouir sans entraves” ; “il est interdit d’interdire” ; “prenez vos désirs pour la réalité” –, tout se passe comme si, sous la pression des événements, la politique revenait enfin sur terre », écrivait Éric Branca le 1er décembre 2006, dans le premier numéro de notre nouvelle formule.
Les socialistes eux-mêmes sont obligés d’en convenir. Ségolène Royal a gagné la primaire du PS en s’appuyant sur l’opinion, contre ceux qui croyaient encore, comme Laurent Fabius, qu’il fallait conquérir le parti par la gauche.

Une demande d’ordre qu’aucun politique ne peut négliger.
C’est dans le corpus catholique qu’elle est allée puiser le concept d’ordre juste dont elle a fait son slogan : on le retrouve chez saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle. « Mieux, il est abondamment cité dans l’encyclique Deus caritas est de Benoît XVI, publiée seulement quinze jours avant que Royal ne l’utilise ! » s’amuse le journaliste Éric Dupin dans À droite toute (Fayard). Ce choix n’est pas fortuit : il émane, du fond du pays, une demande d’ordre qu’aucun politique ne peut négliger. Interrogés par TNS Sofres pour le Nouvel Observateur, 67 % des Français portent un jugement positif sur l’autorité (76 % des sympathisants de droite). « Le discours politique est saturé de thématiques droitières comme l’autorité ou l’identité nationale », confirme Xavier Jardin, chargé d’enseignement à l’IEP de Paris et à l’université catholique de l’Ouest (Angers).
Cette contestation de l’héritage soixante-huitard a conduit les principaux candidats à faire campagne sur des thèmes chers à la droite. L’Ifop avait sondé les attentes de ses sympathisants pour Valeurs actuelles, le 1er décembre 2006. Il en ressortait que « les valeurs traditionnelles continuent d’occuper une place très importante à droite » : l’identité nationale, la sécurité des biens et des personnes, la baisse des impôts, la transmission du patrimoine, le travail, que Nicolas Sarkozy place au centre de ses préoccupations.
À la différence de Jacques Chirac, le candidat de l’UMP n’hésite pas à se dire de droite : ceux de ses “amis” que ce mot répugne « organisent les conditions de notre défaite idéologique avant même l’engagement de la bataille, a-t-il écrit, dans son livre, Libre, en 2001. Car enfin, pourquoi donc serait-il noble d’être de gauche, et faudrait-il s’excuser d’être de droite ? Ce refus d’affronter une telle querelle sémantique se traduit par un déficit d’identité pour nos électeurs, qui finissent par ne plus savoir qui les représente. » La concurrence du Front national l’a convaincu de tenir ce cap.
Dans ses discours, Sarkozy ne cesse de célébrer « la France qui se lève tôt et travaille dur ». Parce que le « partage du travail n’a jamais été une solution contre le chômage », il veut « sortir des 35 heures », comme les deux tiers des électeurs de droite. « Nous proposons, dit-il, d’exonérer les heures supplémentaires de charges sociales et d’impôts, pour le patron comme pour le salarié. » Pour un smicard qui ferait quatre heures de plus par semaine, « cela signifie un gain de 17 % sur sa feuille de paie. » Travailler plus pour gagner plus.
Ainsi présenté, son projet rompt avec l’assistanat mis en place par la gauche au début des années 1980. « Je veux réhabiliter le travail et, au-delà, le mérite, l’effort, le goût du risque. Je ferai en sorte que les revenus du travail soient toujours supérieurs aux aides sociales et que les titulaires d’un minimum social aient une activité d’intérêt général, afin d’inciter chacun à prendre un emploi plutôt qu’à vivre de l’assistanat. »
Sur ce point, Ségolène Royal ne se distingue pas de ses prédécesseurs socialistes : ne propose-t-elle pas la création d’une allocation autonomie pour les jeunes, sous conditions de ressources ? La gratuité des transports accordée par Jean-Paul Huchon aux RMistes, en Île-de-France, prouve, encore une fois, que la gauche n’a pas fait sa révolution culturelle.
Qui paiera ? Les Français ont compris aussi que l’on ne pouvait pas vivre éternellement à crédit. En témoigne le succès de François Bayrou quand il appelle à réduire la dette publique. Mais ils ne peuvent donner quitus à l’État du gaspillage de leurs deniers. Dans un pays où le poids des prélèvements obligatoires ne cesse d’augmenter, on ne réduira pas les déficits en alourdissant la charge fiscale mais en diminuant les dépenses. C’est bien l’avis des électeurs de droite : 86 % souhaitent la réduction de l’impôt sur le revenu, 79 % la suppression des droits de succession. La lutte contre l’insécurité figure parmi leurs principales préoccupations. Un thème que les candidats de droite n’avaient guère évoqué, jusqu’aux émeutes de la gare du Nord, le 27 mars.
À Nicolas Sarkozy, ces violents incidents ont rappelé que rien n’était réglé, malgré la baisse de la délinquance dont il se prévaut et le renforcement constant de l’arsenal répressif. 83 % des sympathisants de droite pensent aujourd’hui que l’ordonnance de 1945 doit être réformée pour « permettre la condamnation des mineurs délinquants à une peine de prison ».
Ces violences auront eu le mérite, au moins, de faire voler en éclats les faux-semblants socialistes. Au début de la campagne, Ségolène Royal n’avait pas hésité à proposer la création de « chantiers humanitaires [pour les jeunes délinquants] encadrés par des militaires ». Elle y avait gagné une réputation de fermeté, qu’elle a perdue le mois dernier en accusant la droite d’avoir creusé le fossé entre la police et la société.
Les incidents de la gare du Nord auront enfin réveillé le douloureux souvenir des émeutes de novembre 2005, quand les banlieues s’étaient embrasées. Ils ont aussi rappelé que la France avait bien des difficultés à intégrer des populations étrangères qui revendiquent à la fois l’égalité des droits et le droit à la différence. D’où le lien qu’établit Sarkozy entre l’immigration et l’identité nationale, devenue, ces dernières semaines, l’un des principaux sujets de controverse entre candidats.
Ce n’est pas la première fois que le candidat de l’UMP pose, après Jean-Marie Le Pen, la question de l’identité de la France. « Je ne crois pas à la fin des nations », déclarait-il à Nîmes, le 9 mai 2006, disant refuser que la France soit « condamnée à devenir une province européenne, dans une Europe sans identité, sans frontières, ouverte aux quatre vents de la mondialisation au lieu d’en être le rempart protecteur ». Il n’en propose pas moins l’adoption par le Parlement français d’un traité constitutionnel européen “simplifié”.
Identité nationale, valorisation du travail, lutte contre l’insécurité, réduction des impôts… Tout au long de la campagne, Nicolas Sarkozy aura obligé Ségolène Royal à jouer “en défense”. Est-ce à dire que la gauche vit désormais « sous l’emprise idéologique de la droite et inscrit son action dans le cadre mental de l’adversaire », comme l’affirme Éric Dupin ? « Sa capitulation idéologique, plus ou moins inconsciente, la place inévitablement en situation de faiblesse », estime l’auteur d’À droite toute. Pourtant, rien n’est moins sûr.
« Si la pensée de gauche est détruite, ce n’est pas pour autant que se construit une pensée de droite », répond Jean de Boishue, membre de la Fondation pour l’innovation politique, dans Enjeux-les Échos. Au contraire, poursuit-il, la droite « se contente de coller à la pensée de gauche pour ne pas perdre pied dans les mouvements sociaux ». En témoignent l’approbation par la droite du droit opposable au logement (et maintenant à la garde d’enfants !) et son ralliement inconditionnel au Pacs.
Dans ce domaine, celui des “questions de société”, la droite n’a pas osé rompre avec Mai 68. Elle continue de subir l’ascendant intellectuel de la gauche, au point de compromettre tout son projet politique : comment bâtir une société fondée sur le mérite et sur l’effort sans réformer l’école afin qu’elle transmette ces valeurs, sans renforcer la famille (un homme, une femme, des enfants) pour qu’elle en assure la pérennité ?
Sur l’école, Nicolas Sarkozy a dit des choses frappées au coin du bon sens : « Je veux que l’école soit un lieu de travail, d’autorité et de respect. Je suis pour que les élèves se lèvent quand les professeurs entrent dans les classes. » Mais, hormis la promesse d’accorder aux établissements plus d’autonomie et la réforme de la carte scolaire remplacée par « une obligation de mixité sociale, géographique et scolaire », le projet de l’UMP est particulièrement vague.
Mais c’est surtout sur la famille que les propositions de son candidat déroutent. Selon le sondage de la Sofres pour le Nouvel Observateur, 35 % seulement des électeurs de droite seraient favorables au mariage homosexuel (onze points de moins que l’ensemble des Français), une majorité rejetant l’adoption par des couples de même sexe. Nicolas Sarkozy se garde d’employer les mots qui fâchent, mais « je veux, dit-il, reconnaître la sincérité de l’amour homosexuel en créant une union civile donnant les mêmes droits aux couples de même sexe qu’aux couples mariés, à l’exception de la filiation et de l’adoption, ainsi qu’un statut de beaux-parents, valable pour les familles recomposées et homoparentales. »
En méconnaissant, dans ce domaine, les attentes des électeurs de droite, Nicolas Sarkozy priverait son édifice politique de sa clé de voûte, tant il est vrai que la prospérité d’une société se fonde sur la stabilité des familles. 

Paru dans Valeurs Actuelles n° 3672 du 13 Avril 2007

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