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10 mai 2007

Antimondialisme et antiaméricanisme

La mondialisation a existé bien avant la naissance des États-Unis. Comme le rappelle un économiste et historien, Régis Bénichi, dans une lumineuse synthèse sur le sujet (parue dans la revue L'Histoire, n° 254, mai 2001 sous le titre: "La mondialisation aussi a une histoire"), la mondialisation accompagne toute l'histoire du capitalisme. On observe déjà, plus anciennement encore, cet élargissement du commerce dans l'Empire romain et au Moyen-Age, avec ses conséquences bénéfiques: les avantages de réciprocité, de complémentarité engendrant la baisse des coûts. Mais c'est surtout après les grandes découvertes, à la fin du XVe siècle, avec l'essor du commerce transatlantique, que débute la mondialisation au sens moderne du terme. Bénichi distingue trois vagues: l'expansion du capitalisme marchand après les grandes découvertes, puis la période où se généralise la révolution industrielle en Europe et en Amérique du Nord, soit de 1840 environ à 1914; enfin la mondialisation actuelle.

Il va de soi que la première vague monte durant tout le XVIe siècle et s'élargit encore au XVIIe. Grâce au trafic maritime, outre les acteurs de premier plan, comme l'Angleterre et l'Espagne, de petits pays comme le Portugal ou la Hollande deviennent de grandes puissances économiques, des têtes de réseaux planétaires, qui s'étendent jusqu'à l'Inde, à l'Asie du Sud-Est, à l'Indonésie, au Pacifique Ouest, à l'Australie, à l' Amérique du Sud. La Compagnie néerlandaise des Indes orientales est un prototype des instruments nouveaux que suscitent les échanges universels . Le XVIIIe siècle a illustré plus tard par la pratique autant qu'il les explique par l'analyse théorique les bienfaits de la liberté du commerce.

Au cours de ce que Bénichi appelle la deuxième vague de mondialisation, entre 1840 et 1914, le volume du commerce mondial est multiplié par sept. On parle beaucoup aujourd'hui d' «Amérique-monde ». C'est l'expression « Europe-monde » qui convient aux deux premières mondialisations, tant l'Europe répand alors sur tous les continents ses capitaux, ses techniques, ses langues, ses hommes. Surtout, elle sert de moteur central à une circulation planétaire des marchandises, des savoir-faire, des sciences, des techniques et des idées. En revanche, à partir de 1919, après la catastrophe de la Grande Guerre, et malgré le rétablissement de la paix, l'Europe ruinée recule, se replie sur elle-même. C'en est fait de sa suprématie. En outre, elle se morcelle: les pays européens se ferment les uns aux autres. De l'autre côté de l'Atlantique, les États-Unis, l'Argentine, le Brésil, terres immenses traditionnellement ouvertes aux immigrés et aux produits étrangers, se barricadent à leur tour. Le commerce international s'effondre, les capitaux ne peuvent plus circuler, on institue le contrôle des changes, on veut fixer par décret le cours des monnaies. Donc, sur toute la planète, la vie économique se sclérose et se met à ressembler, en somme, à ce que souhaitent pour l'humanité les adversaires actuels de la mondialisation. Le résultat ne se fait pas attendre: c'est la crise de 1929, qui dure dix ans, ce sont les dizaines de millions de chômeurs, c'est, dans certains pays, la montée de régimes dictatoriaux ou totalitaires, partout la chute précipitée du niveau de vie. (La France, par exemple, ne retrouvera qu'au début des années cinquante son revenu moyen par tête de 1914.) Et pour couronner cette brillante série de succès, survient la Deuxième Guerre mondiale, d'où l'Europe sortira non seulement matériellement et économiquement détruite, mais cette fois-ci définitivement déchue du rang des «grandes puissances».

N' en déplaise aux manifestants « citoyens » de Gênes ou de Davos, il n'est donc pas incompréhensible qu'en 1945 la « communauté internationale », comme on devait l'appeler plus tard, ait, pour une fois, tiré les leçons de ses fautes et se soit avisée de tourner le dos à l'antimondialisation du quart de siècle précédent. Dès 1941, en pleine guerre, les États-Unis avaient inscrit la libération du commerce mondial dans la Charte de l'Atlantique, signée le 14 août 1941 par Churchill et Roosevelt. En 1944, Morgenthau, secrétaire d'Etat au Trésor {ministre des Finances) de Roosevelt, énonçait ainsi la doctrine qui devait servir de guide dans l'avenir: «il faut éviter de recourir aux pratiques pernicieuses du passé: la course aux dévaluations, l'élévation des barrières douanières, le contrôle des changes, ces pratiques par lesquelles les gouvernements ont essayé vainement de contenir l'activité économique à l'intérieur de leurs frontières. Ce sont là les procédés qui ont été fauteurs de dépression économique et de guerre.»

Ainsi commençait la « troisième vague » de mondialisation, qui n' a pas cessé depuis la fin de la guerre de s' amplifier et dans laquelle nous nous trouvons encore. Les traits capitalistes de cette troisième phase se précisent davantage à la suite de l'effondrement des communismes. La mondialisation alors se caractérise par une coloration principalement américaine, puisque, admet -on de manière générale, l' Amérique a émergé de la guerre de 1939-1945 comme la première puissance capitaliste mondiale et de la faillite socialiste de 1980-1990 comme la seule superpuissance économique. Que cette troisième mondialisation ait, par conséquent, un caractère encore plus capitaliste que les deux précédentes, c'est-à-dire soit due encore plus à l'action des entreprises privées et de moins en moins à celle des États, ne doit pas étonner non plus. Car, même dans les pays où le communisme politique a essayé de prolonger artificiellement son existence, les gouvernements rescapés ont fait tous les efforts possibles pour se débarrasser du socialisme économique, à coup de privatisations, d'appels aux investissements étrangers, de libération des échanges et d'accords commerciaux transfrontaliers. Seules Cuba et la Corée du Nord se sont cramponnées au collectivisme totalitaire, et ces seuls exemples dispensent de tout commentaire.

Jean François Revel

Extrait de son livre: "L' obsession anti-américaine" paru chez Plon en 2002.

Pour acheter le livre:

http://www.amazon.fr/Lobsession-anti-am%C3%A9ricaine-fonctionnement-causes-incons%C3%A9quences/dp/2266133403

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