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9 avril 2007

Feu l'intellectuel de gauche

Quand la gauche se rallie à la pensée de droite.

Il pourrait arriver que pour la deuxième fois consécutive le candidat de la gauche, en l’occurrence la candidate, ne parvienne pas au second tour. On observe aussi à quel point ses réserves sont minces, au cas où elle y parviendrait. Si cette érosion politique devait s’avérer, elle serait le reflet de l’érosion intellectuelle. Ce qui n’est pas illogique : même si les politiques et les intellectuels en général ne s’aiment pas, une politique qui perd ses fondements perdra bientôt ses électeurs. La faiblesse politique de la gauche, sa difficulté à se refonder depuis la chute du mur de Berlin correspondent à la fuite massive de ses intellectuels.
Lorsque ma génération était estudiantine, la gauche absorbait tout et parlait toujours seule. Elle débordait d’arguments. Rien ne lui résistait, parce qu’elle habitait l’avenir – au moins le croyait-elle. Critiquait-on le marxisme, on devenait fasciste. Nous étions quelques-uns, silencieux et survivant grâce à l’humour, à ne pas hurler avec les loups.
Et puis nous avons eu la surprise d’observer, au cours des quinze dernières années, une métamorphose qui a frappé bientôt la plupart des intellectuels de gauche. En rangs de plus en plus serrés, ils venaient approuver la privatisation des entreprises d’État et assurer qu’ils croyaient dans les bienfaits du marché ; ils se sont mis à défendre l’importance de la famille stable pour l’équilibre des enfants ; nous les avons vus établir le lien entre les deux totalitarismes ou reconnaître les sottises de la lutte des classes, en appeler aux valeurs de la responsabilité et de l’expérience face au dogme du “tout est possible”, se délecter des textes de Tocqueville sur les âneries de la démocratie déclinante, considérer bientôt qu’aucun matérialisme militant ne donne sens à la vie – et même (je n’en crois pas mes oreilles) loucher avec un rien d’inquiétude et parfois avec un jeune enthousiasme, vers la question de Dieu… Je ne citerai pas de noms, il y en aurait trop.
On peut s’étonner de voir de quelle manière vaporeuse et souterraine nos intellectuels de gauche ont rejoint la pensée de droite. Bien entendu, nombre d’entre eux jurent qu’ils campent toujours dans le territoire de la gauche. Question de communication, et non de sémantique. Les peuples, disait Montesquieu, ne sont jamais frappés que par les mots. Naturellement, il ne manque pas d’esprits subtils pour tenter de nous expliquer que défendre la liberté, le marché, la famille et Dieu, c’était en réalité le fonds immémorial de la pensée de gauche… Mais enfin, on ne peut pas trop longtemps nous prendre pour des ânes. Voilà des gens qui nient avoir changé d’opinion. Il serait pourtant facile à un esprit cruel de faire l’histoire de ces retournements. Mais l’essentiel est ailleurs : quel que soit le vocable qu’on emploie, les valeurs défendues ne sont plus les mêmes.
Quant aux quelques intellectuels de gauche qui restent hantés par les idées de leur jeunesse, celles-ci les habitent comme des nostalgies ou des regrets inavouables. Ils n’en ont gardé que le négatif, puisque le reste a disparu : ils savent ce qu’ils ne veulent pas, mais ne savent plus ce qu’ils veulent, et aucun n’ose exposer ou écrire des théories auxquelles il ne croit plus – et qui d’ailleurs provoqueraient plutôt le rire ou la compassion. La gauche pensante exprime des vapeurs et des fluides, des états d’âme, des lamentations : elle ne développe plus des thèses car elle n’en a plus les moyens. La plupart de ceux qui pensent développent des thèses pour le camp d’en face.
Cette situation engendre dans les milieux intellectuels des conséquences inattendues, frustrantes ou risibles. Les conservateurs de toujours, qui se terraient dans l’ombre à force de se faire traiter de néonazis, relèvent la tête, supposant que leurs discours deviennent énonçables, dès lors que ce sont leurs adversaires qui les emploient. Néanmoins, on leur laisse entendre que les valeurs qu’ils défendent depuis toujours seront bien mieux défendues par les néophytes qui les combattaient encore il y a quelques années – la conversion frappe davantage : “Finalement, vous aviez raison, mais enfin, ce n’est pas à vous de le dire”.
En tout cas, au-delà des détours multiples de ce retournement, il reste que le combat intellectuel de la gauche est perdu en France, si l’on entend par là cette gauche historique, imprégnée par le marxisme et typiquement française, et non cette gauche imaginaire réinventée à l’instant par les convertis gênés. Probablement la gauche française était-elle trop liée au “socialisme réel” pour survivre après sa disparition. Il lui faudra retrouver le chemin du socialisme irréel, le seul qui fonctionne. En attendant, elle a perdu sa base arrière, à savoir ses intellectuels. Elle ressemble à ces canards décapités qui continuent malgré tout leur course, pour quelques instants… 


Chantal Delsol

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